André Derain 1903

André Derain a Libéré la Couleur de la Peinture

L'Essentiel en 30 Secondes

André Derain (1880-1954) est le co-fondateur turbulent du Fauvisme, ce mouvement révolutionnaire qui a libéré la couleur de toute contrainte réaliste. Aux côtés de Matisse à Collioure en 1905, il transforme les paysages en symphonies chromatiques sauvages où les arbres deviennent rouges et les mers orange. Plus qu'un simple fauve, Derain incarne l'artiste en perpétuelle mutation : du Fauvisme explosif au Cubisme structuré, puis vers un néo-classicisme contemplatif, refusant toute étiquette jusqu'à sa mort en 1954.

5 Faits Clés à Retenir

  • Co-fondateur du Fauvisme : Avec Matisse à Collioure durant l'été 1905, Derain crée les toiles scandaleuses qui donneront naissance au mouvement fauve lors du Salon d'Automne.
  • L'été révolutionnaire de 1905 : À Collioure, Derain et Matisse "turbinent sérieusement et de tout leur cœur", créant des œuvres comme Le Faubourg de Collioure (huile sur toile, 59,5 × 73,2 cm, Centre Pompidou).
  • La période londonienne 1906-1907 : Derain peint la Tamise et ses ponts emblématiques, dont Le Pont de Charing Cross (1905-1906, huile sur toile, 81 × 100,6 cm, Musée d'Orsay).
  • Évolution stylistique audacieuse : Après 1908, Derain explore le Cubisme aux côtés de Picasso et Braque, avant de développer un style néo-classique unique dans les années 1920.
  • Collections majeures : Le Musée de l'Orangerie à Paris conserve une trentaine d'œuvres de Derain, le MoMA et le Metropolitan Museum à New York possèdent des pièces fauves essentielles.

Imaginez un artiste capable de transformer une simple berge de rivière en symphonie de couleurs sauvages, où les arbres deviennent rouges, les ciels violets et les eaux turquoise explosent sur la toile. C'est exactement ce qu'a fait André Derain, ce génie inclassable du modernisme français qui a marché aux côtés de Matisse dans la révolution du Fauvisme. Né le 10 juin 1880 à Chatou, en Île-de-France, Derain a créé une œuvre qui oscille entre audace coloriste et profondeur contemplative, marquant à jamais l'histoire de la peinture moderne.

Les Débuts Parisiens et la Découverte de la Couleur Libérée

Derain grandit dans un environnement artistique effervescent de la région parisienne. Après ses études initiales à l'Académie Carrière, il fait la rencontre décisive de Maurice Vlaminck le 18 juillet 1900 dans un train qui les ramenait vers Chatou — une anecdote qui marquera le début d'une amitié artistique explosive. Ces jeunes peintres rêvent d'une peinture sans compromis avec l'académisme, où la couleur devient l'équivalent visuel de l'émotion brute.

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C'est dans le cadre de Chatou, ce petit village au bord de la Seine qui sera son terreau créatif, que Derain commence à peindre des paysages où la nature explose en teintes sauvages. Ses toiles de cette époque ressemblent à des cris visuels : des bateaux rouges, des arbres bleus, des ciels jaunes. Voilà la révolution fauviste en action, l'art qui refuse de raconter des mensonges sur la réalité ! Cette approche radicale de la couleur libérée annonce déjà les révolutions chromatiques qui marqueront tout le XXe siècle.

Comme le souligne le critique du Monde en 2017 : "L'arbre est écarlate, l'herbe bleue, la mer orange" — cette description résume parfaitement l'audace chromatique que Derain déploie dès ses premières expérimentations fauves.

1905 : L'Explosion du Salon d'Automne et la Naissance des Fauves

L'année 1905 marque un tournant décisif dans l'histoire de l'art moderne. Au Salon d'Automne de Paris, André Derain présente ses œuvres aux côtés de Henri Matisse, de Vlaminck et d'autres peintres radicaux. La critique est féroce : on traite ces artistes de fous ou d'ignorants. Le critique d'art Louis Vauxcelles n'y va pas de main morte : en voyant ces explosions de couleur sur les murs, il déclare que ces artistes peignent "comme les fauves" — littéralement, comme des bêtes sauvages.

Bien loin de reculer, Derain et ses compagnons adoptent ce surnom provocateur. Le mouvement du Fauvisme est né, et Derain en est l'une des figures de proue. Contrairement à Matisse, qui cherche une harmonie contemplative des couleurs, Derain pousse l'audace encore plus loin : ses contrastes vibrants, sa brutalité colorée lui donnent une place singulière dans ce mouvement qui influencera profondément l'abstraction lyrique.

L'été 1905 passé à Collioure avec Matisse reste légendaire dans l'histoire de l'art. Selon les mots mêmes de Derain, les deux amis "turbinent sérieusement et de tout leur cœur". C'est dans ce village catalan que naissent des chefs-d'œuvre absolus du Fauvisme.

Œuvre Phare : Le Faubourg de Collioure

Titre : Le Faubourg de Collioure
Date : 1905
Technique : Huile sur toile
Dimensions : 59,5 × 73,2 cm
Musée : Centre Pompidou, Paris (acquisition 1966, inventaire AM 4367 P)
Pourquoi elle compte : Cette toile témoigne du séjour décisif à Collioure où Matisse et Derain ont révolutionné la traduction de la lumière méditerranéenne par la couleur pure. Articulée autour d'une diagonale formée par les barques tirées sur la grève, l'œuvre présente des mâts orangés qui strient le bleu de la mer, créant un espace sans ombre où les silhouettes des pêcheurs s'activent. Cette approche annonce les explorations futures de l'expressionnisme abstrait.

Œuvre Phare : Le Port de Collioure

Titre : Le Port de Collioure (le cheval blanc)
Date : 1905
Technique : Huile sur toile
Dimensions : 72 × 91 cm
Musée : Musée d'Art moderne de Troyes (don Pierre et Denise Lévy, 1976, inventaire MNLP 57)


Pourquoi elle compte : Ce paysage fauve de format horizontal représente le port de Collioure avec, dans le coin inférieur droit, un cheval blanc et sa charrette. L'œuvre illustre parfaitement comment Derain transforme un motif quotidien en explosion chromatique, utilisant des couleurs non-naturalistes pour exprimer l'intensité de la lumière catalane.

L'Aventure Londonienne et la Quête d'une Nouvelle Lumière

En 1906-1907, André Derain s'embarque pour Londres sur les conseils de son marchand Ambroise Vollard. Là, il peint la Tamise et ses ponts emblématiques sous une lumière nouvelle, créant une série remarquable de vues urbaines. Le Pont de Charing Cross, le Palais de Westminster, la Londres brumeuse : autant de motifs qui lui permettent d'explorer comment la lumière urbaine transforme les formes et les couleurs.

Cette période londonienne constitue une transition cruciale dans l'évolution artistique de Derain. Si Derain conserve son amour de la couleur pure, il commence à réfléchir à la structure et à l'harmonie. L'influence subtile de Cézanne — cet autre génie du modernisme — commence à infléchir son approche. Les couleurs restent audacieuses, mais elles s'inscrivent dans une architecture plus rigoureuse, annonçant les préoccupations du Cubisme naissant.

Œuvre Phare : Pont de Charing Cross

Titre : Pont de Charing Cross
Date : 1905-1906
Technique : Huile sur toile
Dimensions : 81 × 100,6 cm (avec cadre : 100,3 × 121,5 cm)
Musée : Musée d'Orsay, Paris
Pourquoi elle compte : Cette toile de la série londonienne marque la transition entre le Fauvisme explosif de Collioure et une approche plus structurée de la composition. Derain y capture l'atmosphère particulière de la Tamise avec des tons moins stridents mais toujours vibrants, annonçant son évolution vers une peinture plus architecturée.

L'Évolution Vers le Cubisme et le Néo-Classicisme

Après 1908, André Derain effectue un tournant aussi spectaculaire qu'inattendu. Sous l'influence de Cézanne et de ses propres réflexions, il commence à s'éloigner progressivement du Fauvisme pur. Ce n'est pas une trahison de ses principes, c'est une maturation : une compréhension que la couleur doit servir une forme plus solide, une composition plus réfléchie.

Voisin et ami de Picasso à Montmartre, Derain explore le Cubisme sans s'y enfermer totalement. À l'été 1914, Braque, Derain et Picasso séjournent ensemble près d'Avignon — moment symbolique qui précède immédiatement la Première Guerre mondiale et leur séparation définitive. C'est à la gare d'Avignon que Picasso, espagnol et non mobilisable, accompagne ses deux amis vers leurs casernes.

Ses œuvres de cette époque — période 1908-1914 — démontrent une curiosité insatiable. Il peint des natures mortes, des nus, des scènes d'intérieur où la couleur, bien que moins explosive, reste omnipotente. Les grands musées internationaux — du Centre Pompidou au MoMA de New York — conservent des témoignages précieux de cette transformation.

Dans les années 1920, Derain développe un style encore plus inattendu : un réalisme dans lequel entre de la peinture hollandaise du XVIIe siècle, du Courbet, du Corot et d'autres réminiscences. Cette phase néo-classique le distingue radicalement de Braque qui reprend son Cubisme, de Matisse à Nice avec ses odalisques, et de l'imprévisible Picasso. Cette polyvalence stylistique rappelle l'évolution d'autres artistes protéiformes comme Joan Miró qui navigua entre surréalisme et abstraction.

L'Artiste Protéiforme : Entre Audace et Contemplation

Ce qui distingue vraiment André Derain des autres pionniers du modernisme, c'est sa polyvalence créative. Tandis que Picasso devient de plus en plus cubiste, que Matisse affine son art de la simplification, Derain refuse les étiquettes. Il peint des paysages, des portraits, des nus, des compositions décoratives, explorant également la sculpture, l'illustration et la création de décors de théâtre.

Sa technique reste extraordinaire tout au long de sa carrière : maîtrise du dessin, profondeur de la couleur, compréhension instinctive de l'équilibre visuel. Chaque tableau est un dialogue entre ce qu'il a appris (la tradition), ce qu'il a révolutionné (la couleur) et ce qu'il explore (nouvelles formes de figuration). Cette tension constante entre abstraction et figuration fait toute la richesse de son œuvre.

Le Musée de l'Orangerie à Paris, qui conserve une collection exceptionnelle d'une trentaine d'œuvres de Derain, témoigne de cette diversité stylistique remarquable. Des paysages méridionaux aux scènes intimistes, chaque période révèle un artiste qui refuse de se figer dans une seule identité esthétique.

L'Héritage Complexe d'Un Artiste en Perpétuelle Mutation

André Derain a vécu jusqu'au 8 septembre 1954, traversant le XXe siècle avec une curiosité qui ne s'est jamais éteinte. Après la Seconde Guerre Mondiale, sa notoriété a connu des fluctuations importantes. Sa conduite durant l'Occupation — notamment le voyage à Berlin de 1941 — a durablement affecté sa réputation posthume.

Depuis longtemps, Derain est celui des grands fauves dont la notoriété reste la moins assurée, bien moins souvent exposé que Matisse, Picasso ou Braque. Ce n'est qu'aujourd'hui que les historiens de l'art redécouvrent pleinement l'importance de son œuvre. Il n'avait plus été montré longuement dans un musée français entre 1994 et 2017, année où le Centre Pompidou lui a consacré une rétrospective majeure couvrant sa période la plus intéressante jusqu'à 1914.

Mais voici le paradoxe fascinant : c'est précisément cette incapacité à rester figé qui fait la grandeur de Derain ! Dans un monde où tant d'artistes modernes se définissent par un mouvement unique — tu es cubiste ou surréaliste, tu ne peux pas être les deux — Derain a osé être protéiforme. Sa peinture du Fauvisme à la modernité classique montre qu'un artiste peut évoluer sans se perdre. Cette liberté créative annonce celle d'artistes contemporains comme Gerhard Richter qui navigue entre abstraction et figuration.

FAQ : Vos Questions sur André Derain

Quelle est la différence entre Derain et Matisse ?

Bien que tous deux soient des fauves fondateurs, leurs approches diffèrent fondamentalement. Matisse cherche l'harmonie et la sérénité : ses couleurs chantent ensemble dans une composition équilibrée. Derain aime la tension et le contraste : ses couleurs se disputent sur la toile, créant une dynamique plus brutale et viscérale. Matisse peint pour apaiser l'œil et l'esprit ; Derain peint pour émouvoir par la puissance chromatique. Cette approche contrastée du Fauvisme influencera différemment le développement ultérieur de l'abstraction lyrique.

Pourquoi Derain a-t-il abandonné le Fauvisme ?

Il ne l'a pas vraiment "abandonné" au sens d'une rupture. Il a transcendé ses principes initiaux en intégrant de nouvelles préoccupations. Après avoir exploré la couleur pure jusqu'à ses limites, Derain réalise que l'art a besoin de structure et de profondeur compositionnelle. Cette évolution reflète une maturité artistique, pas un échec ou une trahison de ses idéaux révolutionnaires. Son cheminement vers le Cubisme témoigne de cette recherche permanente d'équilibre entre couleur et forme.

Où peut-on voir des œuvres de Derain aujourd'hui ?

Les grands musées modernes du monde conservent ses peintures. En France, le Musée de l'Orangerie à Paris possède une trentaine d'œuvres, le Centre Pompidou conserve des pièces fauves majeures comme Le Faubourg de Collioure, et le Musée d'Orsay expose Le Pont de Charing Cross. Aux États-Unis, le MoMA et le Metropolitan Museum à New York possèdent des collections substantielles couvrant toutes ses périodes créatives. Ses œuvres fauves restent parmi les plus prisées des collectionneurs internationaux.

Quel est le rapport entre Derain et le Cubisme ?

Derain a flirté avec le Cubisme mais ne s'y est jamais totalement soumis. Voisin et ami de Picasso à Montmartre, il séjourne avec Braque et Picasso près d'Avignon à l'été 1914. Ses compositions cubisantes — celles des années 1910 — conservent une chaleur figurative et une sensibilité chromatique que les vrais cubistes abandonnaient. Il prend du Cubisme sa rigueur structurelle, mais refuse son abstraction radicale et son rejet de la couleur émotionnelle.

Comment la carrière de Derain s'est-elle terminée ?

Après la Seconde Guerre Mondiale, Derain continue de peindre jusqu'à sa mort le 8 septembre 1954, mais sa notoriété décline considérablement. Longtemps, la critique a favorisé les abstraits au détriment des modernes figuratifs, et son voyage controversé à Berlin en 1941 a terni sa réputation. Ce n'est qu'aujourd'hui, notamment avec l'exposition du Centre Pompidou en 2017, que les historiens de l'art redécouvrent l'importance cruciale de son œuvre. C'est une belle leçon : parfois, la vraie innovation prend du temps à être pleinement reconnue et comprise.

Un Génie Insaisissable

André Derain reste l'un des artistes les plus fascinants du XXe siècle, précisément parce qu'il refuse de se laisser cataloguer dans une seule catégorie esthétique. Du Fauvisme explosif de Collioure à l'élégance néo-classique de sa maturité, son parcours nous montre que la peinture est vivante, toujours en mouvement, toujours capable de se réinventer.

Ses couleurs restent intemporelles : elles parlent le langage universel de l'émotion brute. Ses formes respirent une humanité profonde qui transcende les modes et les écoles. Et surtout, son héritage nous rappelle que l'art véritable refuse les dogmes : il avance, il change, il mûrit sans jamais perdre son authenticité.

La prochaine fois que vous verrez une toile fauve au musée, si les couleurs vous submergent d'un coup de vie, si vous vous sentez soulevé par cette vague de teintes, souvenez-vous : c'est André Derain qui vous crie "la vie est trop belle pour la peindre en gris !".

Sources à consulter

  • Site officiel André Derain (andrederain.fr), biographie officielle de l'artiste
  • Centre Pompidou, Paris, notice d'œuvre "Le Faubourg de Collioure" (1905, inventaire AM 4367 P)
  • Musée d'Orsay, Paris, notice d'œuvre "Pont de Charing Cross" (1905-1906)
  • Musée de l'Orangerie, Paris, collection permanente André Derain
  • Musée d'Art moderne de Troyes, notice "Le Port de Collioure (le cheval blanc)" (inventaire MNLP 57)
  • Le Monde, "André Derain, un fauve inclassable", article critique d'octobre 2017
  • Le Journal des Arts, "Matisse et Derain, l'atelier de Collioure", article historique avril 2020
  • Histoire des Arts (histoiredesarts.culture.gouv.fr), notice "Le Faubourg de Collioure d'André Derain"
  • Barnies.fr, "André Derain - Biographie de l'artiste"
  • Art4You Gallery, "André Derain et le Fauvisme : La Couleur en Liberté", mars 2025
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